Après l’extraordinaire odyssée de l’année Beethoven, deux grands événements étaient au calendrier du Trio pour l’année 1971 : l’inauguration du Kennedy Center, et une tournée de plus de trois semaines au Japon, à partir du 25 septembre.

Leonard Rose, Eugene Istomin et Isaac Stern

Leonard Rose, Eugene Istomin et Isaac Stern

Le Kennedy Center for Performing Arts avait été inauguré le 8 septembre avec la création de Mass, une œuvre de Leonard Bernstein dédiée à la mémoire du Président Kennedy. Le 12 septembre, Istomin, Stern et Rose donnèrent le premier concert de musique de chambre dans l’immense salle de concert, devant les plus hautes personnalités américaines, le corps diplomatique au complet et les médias du monde entier. C’était un grand honneur et une émotion d’autant plus grande qu’il s’agissait d’un hommage rendu au Président qu’ils admiraient tous les trois et qui les avait naguère invités à la Maison Blanche. La soirée avait d’ailleurs commencé par la lecture d’une émouvante lettre de Casals en hommage à Kennedy. Elle s’acheva par une longue standing ovation après leur interprétation du Trio des Esprits de Beethoven, du Troisième Trio de Brahms et du Premier de Mendelssohn. La critique fut extatique. Quelques jours plus tard, le 25 septembre, le Trio commençait une tournée de trois semaines au Japon, pour se faire pardonner son absence de l’année Beethoven. Ils n’y étaient jamais allés ensemble précédemment et n’y retourneront plus, malgré l’accueil délirant qu’ils reçurent. Ils n’avaient pas eu le courage de remonter des programmes entièrement dédiés à Beethoven, mais ils avaient mis au moins une œuvre de Beethoven dans chacun des trois programmes de trios qu’ils donnèrent à Tokyo et dans trois autres villes du Japon : Osaka, Nagano et Yokohama.

A l’exception de l’année 1972, qui fit courir le bruit qu’ils se séparaient, ils restèrent fidèles à leur promesse de réserver quelques semaines pour l’activité du Trio. Ils avaient souhaité faire une pause pour prendre un peu de recul après les tensions des grandes tournées de 1970 et retrouver plus de sérénité dans leurs relations. En 1973, ils effectuèrent une brève tournée aux Etats-Unis au printemps avec l’intégrale des Trios de Brahms, puis participèrent à nouveau au Festival d’Israël en août, en compagnie de Casals et de Schneider. Ils inaugurèrent alors le grand Centre Culturel de Mishkenot Sha’ananim, destiné à être un lieu d’accueil pour tous les grands artistes, écrivains ou intellectuels en visite en Israël et à héberger le Centre de Musique de Jérusalem, un projet porté par Isaac Stern et Teddy Kolleck. A l’automne, ils se retrouvèrent à plusieurs reprises à Carnegie Hall pour un cycle « Isaac Stern and Friends ». A l’automne 1974, le Trio partagea son activité entre l’Europe (filmant pour la Télévision française les trois Trios de Brahms – qui furent édités en DVD en 2004) et l’Amérique.

 

Trios Brahms Istomin

 

En 1975, c’est en juin qu’Istomin, Stern et Rose se réservèrent quelques semaines ensemble, notamment pour le Festival de Porto Rico où ils jouèrent trois trios (Beethoven opus 70 n° 2, Schubert si bémol majeur et, pour la première fois, le Trio K. 502 de Mozart) et deux quatuors avec piano avec Pinchas Zukerman à l’alto (Mozart K. 478 et Brahms opus 26). Cela faisait très longtemps qu’ils n’avaient pas ajouté de nouvelle œuvre à leur répertoire, faute de temps pour les préparer. Ils étaient pourtant conscients de la nécessité de se renouveler, pour leur propre plaisir et pour envisager d’autres enregistrements. En 1976, ils s’attaquèrent au Trio n° 2 en ut mineur opus 66 de Mendelssohn, qu’ils présentèrent notamment au Hollywood Bowl, le 15 juillet, et aux Journées Casals de Mexico, les 21 et 22 octobre, pour le centième anniversaire de la naissance de Casals.
Les concerts et les enregistrements se firent plus rares à partir de 1977. Leur ultime enregistrement fut réalisé les 19 et 20 juillet 1979 : le Deuxième Trio de Mendelssohn. Pour Istomin, c’était l’une des plus belles réussites de leur discographie. Il y avait eu aussi un enregistrement du Trio K. 502 de Mozart, mais la bande fut égarée par Columbia. C’est en janvier et février 1980 qu’ils effectuèrent leur dernière tournée importante (douze concerts à travers les Etats-Unis), qui s’acheva au Kennedy Center et à Carnegie Hall. Les critiques furent mitigées, le New York Times soulignant des problèmes d’intonation chez Stern et chez Rose.

Trio-Brahms-1974Dans les dernières années du Trio, il y eut aussi trois moments très émouvants, trois hommages à des personnalités disparues, qui avaient beaucoup compté pour les membres du Trio. En janvier 1978, Istomin, Stern et Rose ont joué l’andante du Trio en si bémol majeur de Schubert pour les funérailles d’Hubert Humphrey à Washington. Stern et Istomin interprétèrent le mouvement initial de la Première Sonate pour violon de Brahms lors de la cérémonie qui eut lieu quelques jours après, dans le Minnesota. En mai 1982, le Trio joua le premier mouvement du Trio en si majeur opus 8 de Brahms en hommage à Abe Fortas, ancien juge à la Cour Suprême, grand défenseur de la musique et des arts, Isaac Stern et Leonard Rose s’associant également à d’autres musiciens (Walter Trampler, Judith Serkin…) pour le mouvement lent du Quintette à deux violoncelles de Schubert. Enfin, ils reprirent l’andante du Trio en si bémol majeur de Schubert pour la cérémonie du vingtième anniversaire de la mort de Kennedy, le 22 novembre 1983. Ce fut leur dernière apparition publique et un symbole émouvant de la fin de leur aventure.

Leonard Rose était alors déjà malade, et devait mourir moins d’une année plus tard, d’une leucémie. Le 27 novembre 1985, Istomin et Stern participèrent au concert d’hommage organisé par la Juilliard School, où Rose avait formé tant de jeunes violoncellistes. Stern et Istomin venaient alors d’achever l’enregistrement intégral des Sonates pour violon de Beethoven. Stern suggéra à Istomin de chercher un autre violoncelliste et de repartir pour une nouvelle aventure, mais celui-ci refusa. Stern se tourna alors vers Yo-Yo Ma, qui avait été l’élève de Rose, et vers deux pianistes qui avaient étudié avec Istomin : Emanuel Ax et Yefim Bronfman. Il ne rejoua guère de trios, mais explora nombre de sonates, de quatuors et de quintettes, au concert et surtout au disque. Quant à Istomin, il ne fit plus de musique de chambre que dans des occasions spéciales, en particulier au Festival d’Evian. C’est là, en 1990, pour le soixante-dixième anniversaire de Stern, qu’il accepta pour la seule et unique fois de rejouer un trio : l’Archiduc avec Stern et Rostropovitch.

Musique

Brahms, Trio n° 2 en ut majeur op. 87, extrait du premier mouvement. Eugene Istomin,  Isaac Stern, Leonard Rose. Filmé en 1974