Lorsqu’Istomin voulut conclure ses Grandes Conversation en Musique à la Library of Congress par les chefs d’orchestre, il renonça à présenter un panel aussi prestigieux que celui qu’il avait réuni pour les pianistes, les violonistes et les violoncellistes, ou les compositeurs. Les chefs d’orchestre sont continuellement entraînés dans le tourbillon des répétitions, des concerts ou des productions d’opéra. Il s’avérait impossible de les avoir ensemble autour d’une table. Alors Istomin décida de faire trois interviews successives. Il choisit deux chefs de l’ancienne génération, Mstislav Rostropovitch et Zubin Mehta, et un autre, sensiblement plus jeune, même s’il avait commencé sa carrière très tôt, James Conlon. Bien que se connaissant depuis fort longtemps, Istomin et Conlon n’avaient jamais eu l’occasion de donner des concerts ensemble.
Dans cette Conversation, accessible sur le site de la Library of Congress, Conlon évoque tout d’abord son enfance dans une famille de musiciens et sa découverte émerveillée de l’opéra. Puis il avoue que sa vocation de chef d’orchestre était venue de ses piètres talents de chanteur. Puisqu’il ne pouvait pas chanter d’opéras, il allait les diriger ! Il reconnait volontiers que les orchestres d’aujourd’hui se sont « standardisés ». Il croit le phénomène inévitable, et pour ainsi dire normal. Cela va de pair avec la disparition des dialectes et des langues confidentielles. Par ailleurs, les musiciens du passé vivaient très isolés, et il n’y avait pas d’enregistrement. Faute de contacts, chaque orchestre était en quelque sorte enfermé dans sa tradition.
Conlon se réjouit que la musique classique connaisse une grande vogue au Japon, et maintenant en Corée et en Chine. A l’instar d’Istomin, il est convaincu que l’art, la littérature et la musique sont essentiels dans la vie des hommes, et que ces arts sont en danger à cause de la commercialisation et de la course au profit. Il reste optimiste car, dans toutes les civilisations, l’art et les artistes ont toujours su trouver leur chemin pour s’exprimer, même dans des milieux très défavorables. Il donne l’exemple des peintres de la Renaissance, qui étaient obligés de ne peindre que des sujets religieux et de respecter des codes très restrictifs mais qui ont su les dépasser. Il cite également Stravinsky, qui a prouvé que l’art pouvait naître du compromis. Conlon est persuadé que si les jeunes occidentaux n’aiment pas la musique classique, c’est qu’ils n’ont pas eu l’opportunité d’être en contact avec elle dans de bonnes conditions.
Interrogé sur la création contemporaine, James Conlon rappelle que les commandes et les premières auditions sont certes importantes. Mais il croit qu’il est encore plus important aujourd’hui de donner une deuxième, une troisième ou une quatrième audition des œuvres qui le méritent.
DOCUMENTS
Grandes Conversations en musique. James Conlon et Eugene Istomin. Library of Congress : https://www.loc.gov/item/ihas.200031104
Dimitri Chostakovitch. Suite de Lady MacBeth de Mtsensk, arrangée et dirigée par James Conlon. Répétition avec l’Orchestre de Paris en avril