La rencontre d’Adolf Busch fut une étape essentielle de l’évolution d’Eugene Istomin, comme musicien et comme homme.

Irene Busch, Arturo Toscanini, Adolf et Frieda Busch en 1932

Irene Busch, Arturo Toscanini, Adolf et Frieda Busch en 1932

Eugene Istomin étant l’élève de Serkin au Curtis Institute, Adolf Busch dut entendre parler de lui très tôt. Il faisait partie du jury du Concours Leventritt qui couronna Istomin en 1943 et il assista avec enthousiasme, quelques semaines plus tard, à ses débuts avec le Philharmonique de New York dans le Deuxième Concerto de Brahms. Alors il n’hésita pas à engager Istomin pour la grande tournée avec son The Little Orchestra qu’il préparait pour le début de l’année 1944. Sa carrière de soliste était compromise par ses problèmes de santé et par le sentiment des agents américains et du public que son jeu était démodé. Même Toscanini, qui lui vouait naguère une immense admiration, lui avait tourné le dos, engageant Heifetz pour jouer le Concerto de Beethoven. Recommencer l’aventure des Busch Chamber Players était une façon très séduisante de relancer sa carrière. Serkin était en train de faire sa carrière avec les grands orchestres américains et ne pouvait se libérer. Le remplacer par Istomin lui sembla tout naturel.

Busch et Istomin écoutant les play back du Concerto BWV 1052

Busch et Istomin écoutant les play back du Concerto BWV 1052

Eugene Istomin raconta ces tournées dans une interview donnée à Bernard Meillat en 1987 : « Ce fut une expérience incroyable, inouïe ! Nous avons donné deux années de suite plus de cinquante concerts à travers les Etats-Unis. Je jouais en alternance le Concerto en ré mineur de Bach, trois concertos de Mozart (K. 271, 414 et 449) et même l’Andante Spianato et Grande Polonaise de Chopin. Je tenais aussi le continuo dans toutes les œuvres baroques du programme. Et c’est Busch qui a insisté auprès de Columbia pour que j’enregistre avec lui le concerto de Bach en avril 1945. C’était un apprentissage fantastique ! Vous vous rendez compte, non seulement j’ai fait ces tournées avec Busch, mais j’ai passé aussi deux étés en vacances avec toute la famille Busch, en 1944 et 1945. Nous avons joué ensemble, et avec son frère Hermann, tout le grand répertoire des sonates pour piano et violon et des trios ! »

Ce partage se faisait en toute convivialité : « Jouer avec Adolf Busch, c’était apprendre, mais je n’étais jamais relégué au rang d’élève. Il ne m’interrompait jamais pour me dire de jouer comme ci ou comme ça. J’avais la capacité d’appréhender complètement son interprétation, de lui répondre, d’entrer dans un dialogue avec lui. Avec Casals, quelques années plus tard, cela se passera exactement de la même façon. Jouer avec Busch était doublement gratifiant. D’une part, c’était la satisfaction de faire de la merveilleuse musique. D’autre part, c’était le sentiment très fort d’appartenir au cercle restreint des grands musiciens, et de partager http://parmacieenligne.com/viagra.html leur idéal. J’ai compris que Busch me disait : ‘Tu es un des nôtres!’ Ce n’était pas la parole d’un père, mais celle d’un grand frère plein d’affection. »

Outre ce sentiment d’être adoubé par Busch comme un grand musicien, de faire partie de ce petit cercle de grands artistes qui se reconnaissent tout naturellement entre eux (Casals confirmera cette certitude essentielle), Istomin acheva auprès de la famille Busch de se convaincre qu’un musicien doit se nourrir de ses lectures et de sa curiosité pour les autres arts. Les Busch l’aidèrent à enrichir la collection de peinture et de dessin qu’il venait de commencer. Un des témoignages de l’affection des Busch pour Eugene Istomin fut un livre, un exemplaire de Basic Verities, une traduction de la prose et de la poésie de Charles Péguy publiée en 1943 par Panthéon. Adolf et Frieda avaient pris la peine de recopier sur la page de garde une citation du poète et philosophe français : « La vie d’un honnête homme est une perpétuelle apostasie ». Pour Istomin, c’était clairement une invitation à suivre cette maxime. Etre un honnête homme implique qu’on doive refuser les compromissions, dans la vie comme dans la carrière. Pour Busch, cela l’avait mené à quitter son propre pays et à s’exiler aux Etats-Unis où sa carrière, naguère si brillante, avait irrémédiablement décliné. C’était une leçon très exigeante pour un jeune homme de dix-huit ans, mais elle resta plus profondément gravée en lui qu’il ne le croyait lui-même.

Adolf Busch à la fin des années 40

Adolf Busch à la fin des années 40

La fidélité d’Istomin à la famille Busch et à sa philosophie se poursuivit tout au long de sa vie. Il fut très affecté par la mort de Frieda en août 1946. Lorsqu’Adolf rejoua pour la première fois avec orchestre en Allemagne, en 1948, il demanda à Istomin de le rejoindre et celui-ci accourut. C’était une expérience très troublante que de jouer devant un public où se trouvaient probablement des gens qui avaient approuvé les atrocités nazies, qui y avaient peut-être participé. Istomin en fut si bouleversé qu’il attendra plus de 25 ans avant d’accepter de jouer en Allemagne et en Autriche.

A la fin des années 40, Istomin joua dans ses récitals la Suite pour piano composée par Adolf Busch ou les Pièces opus 82 de Reger qu’il lui avait fait connaître. Il donna aussi la première audition, en privé, d’une sonatine pour violon et piano que Busch venait d’achever, et il participa à la création et à l’enregistrement de ses étonnants Seven Spirituals pour orchestre de chambre avec piano (dont il existe un enregistrement). L’héritage essentiel de Busch était Marlboro et Istomin y participa régulièrement jusqu’au milieu des années 80.

Musique

Bach, Concerto en ré mineur BWV 1052. Eugene Istomin, Busch Chamber Players, Adolf Busch. Enregistré le 24 avril 1945 pour Columbia, réédité par Sony en décembre

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